Par un arrêt en date du 4 mai 2017 (pourvoi n°16-87330), la Chambre criminelle de la Cour de cassation délivre un intéressant enseignement sur le principe de proportionnalité en matière de saisies pénales immobilières.
En l’espèce, un mis examen, notamment poursuivi pour blanchiment aggravé, voit cinq biens immobiliers dont il est propriétaire saisis par le juge d’instruction. Ce dernier motive ses ordonnances de saisie en se fondant sur le fait d’une part que la valeur des biens saisis équivalait en partie au produit de l’infraction, et d’autre part que le mis en examen encourait la peine complémentaire de confiscation de tout ou partie de son patrimoine.
La chambre de l’instruction, sur appel du mis en examen, estime régulières les saisies pénales immobilières réalisées. Elle fait notamment valoir que ces saisies ne peuvent constituer une atteinte à la propriété privée en ce qu’il s’agit de simples mesures conservatoires.
Au visa de l’article 1 du protocole n°1 à la Convention européenne des droits de l’homme, relative au droit de propriété, la Chambre criminelle affirme que « le juge qui prononce une mesure de saisie de tout ou partie du patrimoine doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée aux droits de l’intéressé ». Elle casse l’arrêt de la chambre de l’instruction au motif que celle-ci devait rechercher si les saisies, « en ce qu’elles concernent des éléments de patrimoine insusceptibles de constituer le produit de l’infraction, ne portaient pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété du demandeur ».
La solution de la Cour de cassation a de quoi satisfaire à plus d’un titre, tout en incitant à une prudence d’autant plus importante que la Chambre criminelle n’a pas entendu donner à cet arrêt la publicité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre, compte-tenu de la présence d’un visa remarquable et d’un attendu de principe.
En premier lieu, la Chambre criminelle rappelle que la saisie immobilière, bien qu’il s’agisse d’une mesure conservatoire, porte atteinte au droit du propriétaire de disposer librement de son bien. En conséquence, il importe peu qu’à la différence de la peine de confiscation, le mis en cause ne soit pas définitivement privé de tout droit sur son bien.
En deuxième lieu, la Cour de cassation réaffirme le nécessaire respect du principe de proportionnalité. La saisie immobilière ne doit pas revêtir un caractère disproportionné pour le mis en cause.
Cette affirmation est d’autant plus remarquable qu’il s’agissait en l’espèce d’une affaire de blanchiment. Or, la peine complémentaire encourue en la matière, prévue à l’article 324-7, 12°, du Code pénal, est la confiscation de « tout ou partie des biens du condamné ».
En d’autres termes, en cas de déclaration de culpabilité, la juridiction de jugement peut prononcer une confiscation générale du patrimoine du prévenu.
La saisie ayant pour objet d’assurer l’effectivité d’une éventuelle peine de confiscation, l’article 324-7, 12° du Code pénal semblait laisser peu de place à la critique de la mesure conservatoire sous l’angle de la proportionnalité. En outre, dans un arrêt du même jour que celui retient notre attention (Cass.crim, 4 mai 2017, n°16-87253), la Chambre criminelle paraît indifférente à l’argument selon lequel la valeur des biens saisis serait supérieure aux gains illicites.
A tout le moins cependant, le principe de proportionnalité a vocation à s’appliquer à l’ensemble des saisies de patrimoine, quand bien même seraient-elles prononcées dans des affaires dans lesquelles le mis en cause encourt une confiscation générale de son patrimoine.
En troisième lieu, la Chambre criminelle précise que la proportionnalité des saisies devait être examinée « en ce qu’elles concernent des éléments de patrimoine insusceptibles de constituer le produit de l’infraction ».
Là encore, s’agissant d’une infraction faisant encourir la confiscation générale, il n’est pas exigé que le bien sur lequel porte la saisie « soit l’objet ou le produit direct ou indirect de l’infraction » (Cass.crim, 30 mars 2016, n°15-81550, Bull. n°104) selon la formulation de l’article 131-21, alinéa 3, du Code pénal.
Pourtant, la distinction entre les biens issus de l’infraction et ceux qui n’en constituent pas le produit semble, selon la Cour de cassation, mériter l’attention lorsqu’il s’agit d’examiner la proportionnalité de l’atteinte portée au droit de propriété.
A contrario, la saisie d’un bien paraissant être le produit direct ou indirect de l’infraction ne se heurterait pas à cette limite.
En quatrième lieu, si l’absence de saisie immobilière au stade de l’instruction ne fait pas obstacle au prononcé de la peine de confiscation de l’immeuble au stade du jugement, force est de constater qu’en pratique, elle rend la confiscation plus délicate dès lors que le propriétaire conservera l’entière disposition de son bien, dont le droit de l’aliéner, durant la phase d’information judiciaire.
Il est une nouvelle fois rappelé que la saisie de patrimoine, malgré son caractère conservatoire, ne peut porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété sous prétexte de réserver à la juridiction de jugement une plus grande latitude sur ce qu’il conviendra ou non de confisquer.
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